Etat de droit
[12 juillet 2006]
Proposition E7 Proposition complète
Pourquoi
Pourquoi
?
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A chaque fois qu'il est question de violence
et d'échec scolaires revient en boucle la «solution-miracle» habituelle : IL FAUT
améliorer le recrutement et la formation des enseignants. En parallèle et en guise de traduction,
on martèle justement à ces futurs enseignants que punir un élève aggrave la violence scolaire,
que ce soit dans certains Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (I.U.F.M.) ou à travers de savants cours de
sociologie (dispensés dès le D.E.U.G. et jusque dans ces mêmes I.U.F.M.).
Ici, le croisement entre ne pas punir et améliorer les enseignants
aboutit à une synthèse bâtarde qu'entérineront bien des experts (présentés comme tels) et différentes associations :
former les professeurs à rester toujours plus «zen» devant les comportements
d'élèves les plus déviants. Peu importe la transmission des connaissances : le Bon maître
d'aujourd'hui est d'abord celui qui sait encaisser...
Au sein du Bulletin Officiel (Spécial) du 13 juillet 2000, on n'aura eu de cesse que d'enfoncer
le clou, réduisant l'idée même de sanction au strict minimum : les sanctions peuvent être assorties
d'un sursis total ou partiel (...) toute sanction, hormis l'exclusion définitive, est effacée du dossier administratif
de l'élève au bout d'un an (décret n° 2000-620) ; on ne sanctionne
pas uniquement en fonction de l'acte commis, mais également et surtout s'agissant de mineurs, en considération de la
personnalité de l'élève (...) la réponse apportée en fonction de la gravité des faits reprochés ne doit pas aboutir
à une «tarification» des sanctions (circulaire
n° 2000-105). [On supposera que les rédacteurs ont voulu dire :
tarification des fautes ou infractions, en terme de sanctions.]
Dans la même circulaire, le petit mot aux parents (sur le carnet de correspondance) ou le petit mot d'excuse
(qu'un élève daignerait marmonner ou griffonner) sont qualifiés de punitions scolaires.
Quant à la finalité de la soi-disant sanction, elle doit mettre l'élève en
situation de s'interroger sur sa conduite.
Décryptage par étapes :
1) Aux violences réelles, on peut maintenant répondre par des sanctions virtuelles (avec sursis).
Le progrès !
2) Pour continuer à bien se voiler la face, on efface même régulièrement les preuves
administratives de bon nombre d'actes graves. Obligation réglementaire !
3) D'ailleurs, on ne doit plus guère juger en fonction des actes mais en fonction de qui les a commis. Votre personnalité d'élève est votre plus fidèle atout : il suffit d'émouvoir ou faire peur pour se
permettre tout avec la clémence au bout. Car si les difficultés familiales de quelques-uns sont bien réelles, pour
beaucoup, c'est la porte ouverte à toutes les simulations et tous les prétextes.
4) Autre singularité : avertir les parents, c'est déjà punir ! (Déjà trop sévère. Même s'ils
n'ont plus de prise sur leur progéniture.) Et dans la même veine, un élève qui s'excuse, ce serait encore la marque
indélébile d'une vile punition. Du coup, comme personne n'aime être puni, plus personne
n'aimera s'excuser...
5) Ainsi, dans le jargon scolaire français, par sanction il faut surtout entendre : aimable
causerie. L'objectif affiché est de faire prendre conscience à l'Élève (pour la
ixième fois) des infractions qu'il a commises. Pas de l'empêcher de récidiver. Et en aucun cas d'exercer sur lui
la moindre contrainte.
Il est vrai qu'en 2004
on a tenté d'atténuer un peu ce type d'orientation (cf. décret n° 2004-412 ou circulaire n° 2004-176). Mais c'est
là une ébauche de changement que les traditionnelles huées rendent timide, puisque sur le fond, le
principe de sanction — de la vraie sanction : qui contraint et procure un désagrément — a-t-il été
lavé un tant soit peu du soupçon d'ignominie ?
Dans la plupart des consignes officielles, comme sur le terrain, on ne l'évoque qu'après moult tergiversations,
en sourdine ou avec des pincettes, la peur au ventre et la honte sur le front... Par anticipation du tollé général.
Quant aux Grands Pédagogues autoproclamés, ils ne sont généralement pas en reste, surtout par la voix de ceux qui n'ont
plus mis les pieds dans une classe depuis longtemps mais s'empressent de «coacher»
les apprentis professeurs avec force sentences : si vous en venez à punir, c'est que vous ne savez
pas vous y prendre, c'est que vous avez ÉCHOUÉ.
Aussi, pour beaucoup d'adultes, la sanction qui concerne un enfant est devenue détestable en soi. Forcément nuisible.
Leur vœu le plus cher est qu'elle disparaisse, sans grande distinction (de portée et de légitimité). Par principe.
Peut-être l'ont-ils subie injustement dans leur enfance au point de ne pouvoir imaginer qu'elle puisse être administrée
de manière éclairée. A moins que le seul lavage des cerveaux suffise à expliquer un tel rejet.
Quoi qu'il en soit, pour les aventuriers de la pédagogie, c'est la belle époque : on «sort» les nouveaux concepts comme d'autres sortent leur nouvelle gamme de voitures ou de
sous-vêtements pour la saison d'été ou d'hiver. Le but est surtout de brouiller les pistes, de faire croire au départ
que l'on reconnaît encore une certaine utilité au principe de sanction... pour mieux l'abattre. Ainsi a-t-on inventé
la sanction-prise-de-conscience [voir plus haut] ou encore : les punitions intelligentes, au
sens d'intéressantes, c'est-à-dire bien agréables...
Or, ces falsifications sémantiques semblent n'avoir pas suffi aux tenants jusqu'au-boutistes de l'anti-sanction. La
preuve en est ce nouveau cap franchi : au fur et à mesure qu'on les vide de tout leur sens, les mots honnis sont de
plus en plus mis au rancard, placés en désuétude anticipée si l'on peut dire. Comme on jette une coquille vide. Et
le nouveau lexique n'en finit plus d'investir la sphère institutionnelle : au lieu de sanctionner les fautifs, il convient dorénavant de leur apporter une réponse (à leurs états d'âme
qui les font mal agir) ; plutôt que de punir untel quand il «pète les plombs»
— quand il hurle des injures, cogne, crache ou balance une chaise par la fenêtre et plus si affinités —
il est devenu bien plus éducatif de s'interroger sur sa personnalité
profonde et de comprendre ses raisons.
Symptomatique de cette fièvre ambiante, les textes
vont jusqu'à insister pour qu'une admission en classe relais ne soit SURTOUT PAS vécue comme une sanction...
Parmi les faux débats, il en
est d'ailleurs plusieurs qui ne manquent pas de sel. Ainsi, de nombreux parents et la plupart des éducateurs ne veulent
plus guère entendre parler du mot punition, devenu péjoratif ; tandis qu'ils jugeront moins sévère le mot
sanction. Mais au regard des instructions officielles, les sanctions (disciplinaires) sont
censées être beaucoup plus « accablantes » que les punitions (scolaires) !
Parallèlement, on insiste tant et plus sur la fameuse prise de conscience qui règlerait
bien des problèmes et à laquelle, très souvent, on associe une absence de contrainte et de désagrément. Façon
comme une autre d'évincer la sanction. Or, suffit-il d'avoir conscience d'une interdiction pour ne pas la braver ?
Ou d'avoir conscience du mal qu'on fait à quelqu'un pour ne plus le faire ? Ceux qui rejettent l'idée de sanction
(dans sa pleine acception : contraignante et désagréable) semblent répondre par l'affirmative. Ce faisant, ils en
oublient le délicieux plaisir de la transgression ! Ou celui un peu moins glorieux de la moquerie. Qui, en fait, n'a
jamais pris un malin plaisir à sécher un cours, à tricher, à propager une fausse rumeur, à fumer là où il ne faut pas
ou faire quoi que ce soit d'interdit ?… Bien souvent, c'est justement parce qu'on a conscience
de faire une bêtise qu'on la fait ! C'est ce qui lui donne toute sa saveur ! Tandis que l'idyllique
prise-de-conscience-qui-empêcherait-la-répétition- d'une-transgression est chaque jour démentie par les faits ;
elle a surtout été inventée pour décharger les fautifs de toute responsabilité, en partant de l'a priori qu'ils
ne seraient donc jamais conscients du caractère interdit ou préjudiciable de leurs actes... On se demande bien
lesquels sont les plus pris pour des imbéciles : les fautifs en question ou nous tous ?
Par ailleurs, de nombreux
ouvrages présentent la prise de risque comme un vecteur essentiel du développement de l'enfant. Dès l'école
maternelle, elle fait partie des objectifs pédagogiques défendus avec le plus de ferveur. Or, que se passe-t-il
lorsqu'on réduit fortement la portée des sanctions ? On diminue d'autant le risque encouru par l'élève à chaque
fois qu'il transgresse une règle. On le prive de prise de risque. Sans s'en rendre compte ;
croyant bien faire. Cependant, le cadeau est empoisonné. L'intérêt de la transgression, c'est justement
d'affronter le risque. D'oser ! De s'exposer au danger pour démontrer son courage.
Mais où est la prouesse, pour un élève d'aujourd'hui, à insulter un autre élève en plein cours ? Que
risque-t-il ? Du côté institutionnel (et pour peu qu'il soit jugé difficile ou
inconscient, ou Victime sociale) : pratiquement rien. Alors,
dans la mesure où il voudrait montrer qu'il a du cran, il va lui falloir viser plus haut, cogner plus fort... Par
exemple en s'essayant à invectiver quelques adultes, en réalisant son premier racket, en dégradant sa première
classe... Pour voir jusqu'où l'on peut aller (avant que la sanction ne devienne plus forte que le plaisir
ressenti). Or, l'expérience lui apprendra très souvent qu'à ce stade des essais, la prise de risque n'est
toujours pas à la hauteur de ses espérances, ce qui gâche une bonne partie du plaisir. En effet, l'adrénaline
tant espérée s'émousse rapidement : c'est parce que le déplaisir (ponctuel) de la sanction
n'arrive pas que le plaisir (enivrant) de la transgression s'effrite. Alors, notre jeune intrépide va
essayer encore, toujours plus loin toujours plus haut, à la recherche de ce danger
qui, décidément, semble le fuir. Jusqu'au jour où — enfin ! — il le trouve. Mais qu'il aura fallu
aller loin... Tellement loin qu'il n'en reviendra pas forcément comme il l'aurait souhaité : son pays ne le
trouvera pas courageux mais dangereux.
Ainsi, il est une absurdité dont nous autres
Occidentaux sommes très friands : pour qu'un enfant ne réitère pas sa dernière bêtise, nous lui proposons en échange
quelque chose d'agréable. Et nous sommes tout étonnés de voir que cela ne marche pas ! Pour que cela marche — tous
les êtres vivants en passent par là — il faut en fait quelque chose de désagréable.
Eh oui... Le désagrément fait aussi partie du jeu. C'est l'un de ces passages obligés sans lesquels un système
ne saurait durablement fonctionner. Il suffit d'ailleurs de penser aux personnes atteintes de l'anomalie qui
consiste à ne jamais ressentir aucune douleur physique : contrairement à ce qu'on pourrait penser, leur vie
est loin d'être drôle (quand elle n'est pas très écourtée).
Rassurons toutefois les inquiets : désagréable ne signifie pas inhumain ou dégradant ! Le désagrément n'a rien
à voir avec la souffrance des vraies victimes, souffrance d'autant plus persistante qu'on ne les entend guère
puisqu'elles sont sous le joug de ceux qui s'autoproclament Martyrs à leur place (ces derniers n'étant plus
inquiétés par aucune institution tant que l'irréparable n'a pas été commis).
En résumé, c'est une réponse sans disproportion ni injustice, exempte de ressentiment, mais intentionnellement
déplaisante, qu'il faut opposer à l'inacceptable. Et sans attendre : sévir vite, c'est sévir
moins. Et servir plus.
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J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006