Etat de droit
[20 septembre 2006]
Proposition E16 Proposition complète
Pourquoi
Pourquoi
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1 — Au cas où on l'aurait oublié, un professeur est censé en savoir davantage
qu'un élève. Au moins dans sa matière ! Et un peu plus que la plupart des parents, pour tout ce qui
concerne son métier : connaissances disciplinaires, transmission du savoir, gestion d'un groupe-classe,
fonctionnement de l'Ecole... Or, en une vingtaine d'années, nous avons brisé la
«distance hiérarchique» qui existait naguère entre le professeur
et l'élève, ainsi que la «distance professionnelle» entre
professeurs et parents d'élèves.
Pour aller à l'essentiel, commençons par évoquer le décret du 13 mai 1985 (relatif aux écoles
primaires) où le ton fut donné : par rapport à celui du 28 décembre 1976, on officialisa expressément la participation
active des parents au sein d'un conseil d'école doté de nouveaux pouvoirs, très étendus.
Dorénavant, ils représenteraient dans toutes les écoles (leur nombre n'étant plus limité à cinq) près de la moitié
des membres de ce conseil, qui délibère sur toute question / donne tous avis / présente toutes
suggestions... aussi bien en matières réglementaire ou financière que d'organisation. Ainsi commença
d'être gommée la différence, dont on aurait cru qu'elle existait, entre professeurs et parents d'élèves.
La grande offensive — prélude à toutes les offenses — intervint quatre ans plus tard. Petit avant-goût :
Un projet d'action éducative repose sur la liberté d'initiative d'une équipe d'enseignants et
d'élèves qui se rassemble [...] (note de service du 26 juin 1989, adressée aux recteurs et inspecteurs
d'académie, consultable depuis le B.O. du 6/07/89). On en profita pour y déployer la terminologie de mise (en
scène) : «ouverture», «négociation»,
«contrat pédagogique», etc. Depuis cette date, nous formons donc une
grande équipe : élèves, professeurs, parents... tous collègues !
Car la loi d'orientation du 10 juillet 1989 permit aux parents de
participer en force à TOUS les conseils... Leur droit à l'information et à l'expression doit être
absolument respecté, peut-on lire dans le rapport annexé. Soit. Mais c'est peu de dire que leurs
possibilités d'ingérence s'élargirent considérablement (par exemple en matière d'orientation). Avec du recul
Maurice T. Maschino affirme, dans le quotidien Sud Ouest du 5 septembre 2002 : comme le ministère
se garde bien de les associer [aux décisions importantes], le seul pouvoir qu'ils aient
réellement est un pouvoir de nuisance.
De surcroît, cette même loi créa le conseil des délégués des élèves, permettant à des lycéens
de se réunir chaque trimestre avec le chef d'établissement. En réunion extraordinaire, ils
acquièrent même le pouvoir de convoquer ce conseil et donc en quelque sorte... de convoquer le proviseur ! Alliance
contre nature, forcée, pour débattre de questions parmi les plus sensibles (règlement intérieur, travail scolaire,
orientation, etc.). Les professeurs ne sont pas admis. Somme toute, on a tenu à sauvegarder un minimum de distance :
l'élève au centre, le professeur à la périphérie !
Ce processus (qui fait de l'élève au moins l'égal de ses professeurs) ne s'arrête pas là. En 1995, on introduisit les
médiateurs : quelqu'un est placé — ou décide de se placer — entre un collégien et
un professeur, par exemple. Il faut résoudre le «conflit». C'est parole contre
parole. Le médiateur s'efforcera de satisfaire les deux parties (de séparer les vilains garnements). Dans la pratique,
les protestations de l'élève seront prises en compte au moins autant que les souhaits du professeur... qu'on
infantilise ainsi avant d'exiger qu'il tienne bien sa classe.
Et nous ne sommes pas au bout ! Il nous faut revenir une fois encore sur le B.O. Spécial du 13 juillet 2000, cette
fois-ci en sa partie procédures disciplinaires, pour évoquer plus précisément l'article 8
du décret du 5 juillet 2000 (n°2000-620) : les professeurs se retrouvent alors MOINS nombreux que les lycéens dans les conseils de discipline.
Deux pour trois, sur un total de onze personnes... [Jusqu'au décret n° 2004-412 qui rectifie légèrement cette
répartition.] Et pour enfoncer le clou, le conseil des délégués — instauré onze ans plus tôt — prend
un nouveau nom (conférence des délégués des élèves) pour cause de nouveau-né : le
conseil des délégués pour la vie lycéenne qui se réunit avant
chaque séance ordinaire du conseil d'administration, exerce de notables
attributions, est obligatoirement consulté et délibère sur... à peu près tout ! Il faut le lire pour le croire. En 1989, on pouvait déjà
se regrouper en réunion extraordinaire à la demande des trois quarts des délégués ;
en 2000, on se regroupe en séance extraordinaire, à la demande de la moitié de ses membres ou
à celle de la conférence des délégués des élèves. Décryptage : le nouveau conseil n'étant plus composé que
de dix lycéens et du proviseur, cinq ou six élèves suffisent désormais pour convoquer ce dernier. (A moins qu'ils
ne demandent à leurs camarades de la «conférence» de hausser un peu le ton...)
Petit parallèle : si l'on se reporte un instant au décret du 13 mai 1985 cité plus haut, on s'aperçoit qu'après quinze
ans, toutes ces prérogatives nouvelles que durent endosser les parents en primaire, grosso modo, ce sont des élèves
(du secondaire) qui s'en retrouvent parés. Leurs moyens de pression, en conseil, apparaissent même plus importants :
ils ont la quasi-totalité des voix, se réunissent avant tout le monde et officiellement quand ils veulent...
C'est donc sur l'ensemble de ce processus qu'il faudrait revenir car à briser toute distance et
distinction entre élèves et professeurs, on donne l'impression aux premiers d'être sur un même plan d'égalité que
les seconds, rendant la notion même d'autorité complètement obsolète.
2 — Autre constat : lorsqu'un professeur s'adresse à son inspecteur, les formules emphatiques
sont obligatoires. Une demande doit toujours commencer par : J'ai l'honneur de solliciter
de votre bienveillance... ; et toujours se terminer avec l'inévitable : expression de
mes sentiments respectueux et dévoués. Syndicats et personnels expérimentés insistent bien auprès de leurs
collègues débutants sur l'importance d'observer le libellé au mot près. De l'égard et pas d'écart ! Ce faisant, ils
se font les fidèles vecteurs de ce conditionnement à la révérence due au supérieur hiérarchique. Question perfide :
en termes de rapports humains, si un professeur exigeait de ses élèves la moitié moins, que dirait-on ?… Qu'il
se prend pour le roi ! Qu'il est tombé sur la tête ! Bref, on le remettrait rapidement à sa place, qui n'est jamais
très éloignée de la corbeille (à papier froissé).
Pourtant, quelle est la pyramide des responsabilités ? L'inspecteur est censé
aider, conseiller et noter le professeur, qui est censé aider, conseiller et noter l'élève. On devrait donc
être assez fondé à penser que la différence hiérarchique entre les deux premiers et les deux derniers est à peu près
équivalente. Or, dans la pratique — grandement soutenue en cela par les textes officiels — élèves
et parents s'intercalent de plus en plus entre l'inspecteur (ou le chef d'établissement) et le professeur... qui ne
doit d'ailleurs lui-même plus trop noter ses élèves ! Ou alors les surnoter, toujours selon les mêmes savoureuses
directives venues d'en haut (exemple du bac 2006). Et pour parachever le tout, certains professeurs débutants se
plaignent de ne pouvoir être inspectés. C'est à se demander si le corps des inspecteurs sert encore à quelque chose.
Plus sérieusement, si l'on voulait redonner à la fonction d'inspecteur tout son bien-fondé, encore faudrait-il qu'ils
soient les seuls à détenir leurs attributions. De même, si l'on voulait redonner au système un peu de cohérence, et aux
professeurs un minimum d'autorité, le conditionnement de subordination ne devrait pas se limiter aux
relations entre inspecteurs et professeurs mais s'étendre à toute la pyramide.
Hélas, plus que jamais on continue de dire que l'autorité procède désormais du
contrat. (M. Xavier Darcos, alors ministre délégué à l'enseignement scolaire, dans
le quotidien Le Monde du 31 octobre 2002.) Or, qu'est-ce qu'un contrat ? Pour faire court, selon le Code civil,
cela consiste à s'obliger envers quelqu'un. En l'occurrence, il s'agit d'un échange :
l'idée est que le professeur doive s'obliger envers l'élève qui est censé s'obliger envers son professeur. Mais
où est donc passée l'idée de hiérarchie ?… A-t-on déjà vu un inspecteur contracter avec les professeurs de
sa circonscription ? (Ou si tel était le cas, quand l'inspecteur ne respecterait pas le contrat, le professeur
devrait-il le tancer ?!)
En réalité, quand on contracte à plusieurs, c'est souvent : d'égal à égal. Par conséquent, l'autorité ne peut PAS
procéder du contrat. N'en déplaise aux modes actuelles, elle procède d'abord du pouvoir. (D'où l'expression : être
sous l'autorité de quelqu'un.) Si ce pouvoir n'est pas légalement donné, on peut toujours
essayer de le recevoir d'un tiers ou se le forger soi-même, mais le risque existe du contrefait ou de la démesure.
Pourquoi, en somme, trouve-t-on que les dames de service ont en général un peu moins d'autorité que les professeurs, qui
en ont eux-mêmes plutôt moins que le chef d'établissement ? Parce que ce dernier a plus de pouvoir que
les professeurs, qui en ont eux-mêmes davantage que les dames de service.
En fait d'autorité, remplacer le pouvoir par le contrat, c'est contracter une impotence.
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J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006