Etat de droit
L'étude du 31 août 2007
A en croire certains, la France serait en passe de devenir un pays très répressif. On se doute
bien qu'il s'agit-là d'une belle blague, mais pour en saisir l'ampleur, prenons la peine de juger sur pièce. On aurait
très largement pu reparler de l'école à cette occasion, mentionner par exemple qu'un professeur qui se fait insulter
par un élève en est maintenant réduit à devoir faire un rapport de plus, sans même savoir ensuite si cela débouche sur
une réelle sanction ou non... (Pour reprendre les témoignages concordants de deux jeunes professeurs, le 22 mai 2007,
sur une grande radio nationale française.) Et généralement, on finit par comprendre assez vite que la punition ne
fait plus partie des mœurs scolaires actuels. Même lorsqu'elle serait maintes fois justifiée.
Bien entendu, on trouvera d'autres exemples sur Etat de droit
[pages d'EXPLICATIONS de la rubrique
Education].
Mais pour s'en tenir à un tour d'horizon d'une longueur raisonnable, restons-en ici à la seule sphère judiciaire.
Quelques petits rappels théoriques, jurisprudentiels ou généraux pour commencer :
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Les EXPLICATIONS de la
Proposition J5 en ont déjà rendu compte :
la pratique des confusions de peines est fort répandue dans notre pays, qui
permet à un délinquant chevronné ou à un criminel en série de n'effectuer qu'une peine correspondant
à UN seul de leurs multiples délits ou crimes, comme si tous les autres n'avaient pas existé...
Est-ce courant dans les autres Etats du monde ?
—
En matière délictuelle, les tribunaux ont pour habitude d'infliger des peines souvent très
inférieures au maximum légal et presque toujours inférieures aux tonitruantes peines planchers de
l'été (nous aurons l'occasion d'en reparler). Cette clémence jurisprudentielle est encore accentuée
lorsqu'un délinquant comparaît pour la première fois.
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Or, à force, les portes du tribunal ne sont même plus franchies ! Ou beaucoup moins qu'elles ne pourraient l'être.
Prenons le cas des escroqueries à l'assurance maladie ou aux organismes sociaux, lorsque de fausses déclarations
ont été effectuées pour obtenir le remboursement de frais médicaux imaginaires et/ou un florilège d'allocations
indues. Que constate-t-on assez souvent ? Qu'il est simplement demandé à la personne indélicate de
restituer l'argent volé. C'est tout. Les organismes floués vous diront
que si les sommes sont rendues, ils n'iront pas plus loin, trop contents d'être remboursés !
L'institution judiciaire laisse alors courir, trop contente de ne pas avoir un dossier de plus.
Ainsi, même si des peines sont évidemment prévues pour ce type de délit, dans la pratique, l'escroc qui se fait
prendre ne risque l'amende ou la prison pratiquement qu'en théorie (dès lors qu'il fait mine de rembourser).
Parfois arrivera-t-il même à convaincre ses interlocuteurs qu'il n'a plus la possibilité de rembourser... en
réfléchissant à la meilleure façon de ne plus se faire prendre à l'avenir. Jusqu'à un certain point, tout le
monde peut donc escroquer tout le monde impunément. Pour écoper d'une peine réelle, il faudrait vraiment
pousser le bouchon très loin : par exemple, fabriquer de faux chèques de la Caisse des dépôts et
consignations ! Mais s'il agit avec un minimum de finesse contre certaines institutions plus
ordinaires ou de simples particuliers, l'escroc professionnel court moins de risques en
France que celui ou celle qui se lève tous les matins pour aller travailler honnêtement.
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A cette liste s'ajoutent un bon nombre d'autres principes anti-répression dont notre bon droit
français a le secret (et dont il est assez largement fait mention, ça et là, dans la rubrique
Justice d'Etat de droit) :
la prescription de l'action publique (entre autre), les réductions de
peine en tous genres, l'aménagement des peines (surtout depuis la loi du 15 juin
2000), les casiers judiciaires et les sursis effacés dans le temps, etc. etc.
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A tout cela se surajoutent encore les innombrables conséquences de l'état de déliquescence de notre système
judiciaire français : foultitude de décisions non appliquées, dossiers injustement
classés sans suite (par manque de temps), suivis judiciaires bâclés ou
simplement inexistants... La liste est interminable, de ces
aspects théoriques ou pratiques qui permettent à l'auteur d'une infraction
commise en France d'être à peu près sûr de ne jamais être puni à hauteur de ce qu'il a fait
(au regard de ce que notre Code pénal préconise ou prévoit à première vue).
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Enfin, nous le savons, la véritable perpétuité n'existe pas chez nous : un même individu peut être condamné
à de nombreuses reprises pour crimes, s'il n'est pas trop âgé il est presque certain de sortir un jour. Même
lorsqu'il prévient qu'il va recommencer ! Sur ce dernier point, l'exemple à suivre est assez frappant. (Et l'on
pourrait encore évoquer la loi Kouchner du 4 mars 2002 qui, bien que restreinte dans son application depuis, peut
théoriquement permettre à tout détenu très malade de sortir bien avant le terme prévu.)
Illustrons maintenant le propos par quelques exemples de réponse institutionnelle consécutive
à des FAITS précis. En vrac :
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Dans la deuxième quinzaine du mois d'août, nos grands médias se penchèrent sur le cas d'un certain M. Leconte,
initialement libérable au 24 août 2007, pédophile ayant semble-t-il exprimé ouvertement son intention de récidiver...
A-t-il été puni pour cela ? NON ! Quand un criminel indique qu'il a l'intention de commettre de
nouveaux crimes, notre droit français ne permet pas de le sanctionner. Ni de protéger la société d'une façon
ou d'une autre. Que déclara en l'occurrence Madame le substitut du Procureur de Caen concernant M. Leconte ? Que la
commission (d'application des peines) réunie en urgence venait de prononcer un retrait du crédit de réduction
de peine, à savoir un mois de réduction en moins. On ne le punit pas pour ses propos : on lui enlève juste
la dernière récompense d'une longue série. En revanche, toutes les autres réductions dont il a déjà bénéficiées
lui restent acquises. Car à part dernièrement, il s'est «bien
conduit»... Ce qui est le propre de ce type de criminel, tous les spécialistes le savent. Et tous
savent que cela ne constitue aucune indication sur la probabilité qu'il récidive, sinon qu'elle reste très
importante. Un nouveau violeur d'enfant va donc sortir le mois prochain avec l'intention affichée de réitérer...
—
Dans le même registre, une ancienne championne de tennis a révélé, il y a peu, qu'elle fut plusieurs fois violée par
son entraîneur entre l'âge de 13 ans ½ et 19 ans. Lorsqu'elle retrouva la force de porter plainte, trop tard...
Le délai de prescription venait d'arriver à terme... Notre bon droit français laisse donc totalement impuni un
criminel récidiviste (qui ne s'en tînt d'ailleurs pas à une seule victime).
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Novembre 2005, un jeune homme majeur est pris en flagrant délit en train de brûler 3 voitures : il ressort libre.
(Petite peine intégralement assortie du sursis.)
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Eté 2007, reportage télévisuel sur le fonctionnement du tribunal de Cayenne. A un moment donné, on y voit le cas d'un
homme interpelé avec 9 kilos de cannabis sur lui. Il reconnaît clairement à l'audience qu'il avait l'intention de les
vendre, chiffrant lui même le prix qu'il en espérait. Lui aussi ressortira libre. (Amende avec sursis intégral.)
— Discussion récente avec une visiteuse de prison : celle-ci s'offusque du fait qu'un de ses visités ayant
participé à 35 cambriolages à l'aide de voitures volées aurait pris pour les autres, ayant été très sévèrement
jugé... et restant au final deux longues années en prison. Plutôt que de prendre partie, Etat de droit
préfère laisser chacun réfléchir sur cet exemple où l'Etat français aura donc été très sévère : 35 cambriolages + des
voitures volées (et tout ce qui n'a pas été dit) = 2 ans effectifs. Question : qu'est-ce que ce sera quand l'Etat
français sera redevenu gentil ?
A d'autres niveaux, nous savons qu'un très petit pourcentage de redressements fiscaux sont réellement perçus, qu'il suffit de se dire insolvable pour échapper au paiement d'amendes ou de loyers impayés (ou au remboursement de sommes indues), que la grande délinquance financière n'est quasiment jamais atteinte par le bras séculier d'une Justice déjà bien trop encombrée... A ce propos, notre Président de la République a vraiment le sens de l'humour lorsqu'on l'entend demander, pas plus tard qu'hier, à ce que le droit des affaires soit dépénalisé. Ah bon ! Parce qu'il ne l'était pas déjà ?? Laissons plutôt parler l'expérience, avec l'ancienne juge d'instruction Eva Joly : Le crime d'argent est le point aveugle de notre monde, une dimension invisible. Le retentissement des instructions financières ne doit pas faire illusion. Il s'agit seulement d'un effet d'optique. Plus de 95 % de ces délits sont impunis. (Notre affaire à tous, p. 161, éditions des Arènes, 2000.)
Entendons-nous bien : le propos d'Etat de droit n'est pas de dire
qu'il faudrait systématiquement punir plus. Dans certains cas, Etat de droit pourrait souscrire aux
décisions rendues, y compris lorsque la clémence se justifie. (Encore qu'une contrepartie exigée voire un suivi
réellement contraignant ne seraient pas toujours de trop.) Mais la mauvaise foi consistant à dénoncer en permanence
— sur fond d'intérêts exclusivement privés — la dureté d'un Etat français soi-disant revenu aux heures
les plus sombres de son histoire... ne trompe plus personne.
La réalité des faits, en l'occurrence des peines finalement effectuées suite à des infractions établies, c'est que
la France n'a probablement jamais été aussi PEU répressive qu'aujourd'hui. Et c'est sans
doute à l'heure actuelle un des Etats les moins répressif au monde ! En effet, dans quel autre pays que la France
verrait-on que l'on peut brûler 3 voitures et sortir libre ? Que l'on peut prendre un an ferme et ne pas mettre
un seul jour les pieds en prison (loi du 15 juin 2000) ? Que l'on peut commettre dix crimes et n'être puni que
pour un seul ?…
Et l'on ne parle-là que des personnes majeures jugées ! Dans le cas de mineurs délinquants ou criminels, cela a
déjà été plusieurs fois montré sur Etat de droit, plus l'auteur de l'infraction est jeune, plus
le principe de sanction est rayé de la panoplie des réponses institutionnelles. Prenons l'exemple de ces enfants
de 11 ans qui à la fin de l'année dernière en tuèrent un autre de 12 ans, à coups de pied dans la figure lorsqu'il
fut mis à terre... Qu'a-t-on fait ? Comme d'habitude : le procureur lui-même a commencé à leur chercher des excuses,
estimant que nos jeunes tueurs ne se sont pas rendus compte de ce qu'ils faisaient, et d'indiquer leur placement
prochain en foyer d'accueil (pour une courte période d'ailleurs). En somme, on les considère
et on les traite comme des victimes avant tout. Parce qu'à 11 ans, on ne pourrait pas se rendre compte
qu'il ne faut pas s'acharner sur un autre enfant à terre...
Tel est le niveau de la répression étatique en France.
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J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006