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L'étude du 14 mars 2008

Rétention de sûreté : objections et solutions

Sur la nouvelle loi Dati (adoptée en février) relative à la « rétention de sûreté »

Etat de droit — vous le savez si vous fréquentez ce site — est partisan d'un surcroît de fermeté institutionnelle. Mais pas à n'importe quel prix : pas au détriment des principes de l'Etat de droit en France ni au détriment des grands principes du droit français. Et pas sans avoir mûrement réfléchi aux conséquences les plus prévisibles qui risquent de survenir à chaque grand changement de la loi. En ce sens, bien que d'accord avec l'idée de punir plus sévèrement les délinquants et criminels récidivistes, Etat de droit émet de fortes réserves sur divers aspects de la nouvelle loi Dati relative à la rétention de sûreté qui revient à prolonger une peine d'emprisonnement en dehors de tout contexte juridictionnel et en dehors de toute nouvelle infraction établie. D'abord deux objections de fond :

  1. Malgré la validation a minima du Conseil constitutionnel, considérer la rétention de sûreté comme une simple «mesure» (et non pas comme une peine) sera bien difficile à soutenir dans de nombreux cas. On se heurte-là, en effet, à une impasse purement logique.
  De deux choses l'une, soit le criminel est considéré comme irresponsable et dans ce cas-là parler de mesure de sûreté revient à admettre qu'il n'aurait jamais dû aller en prison, soit on considère qu'il n'est pas irresponsable mais alors son maintien en milieu clos s'apparente grandement à une peine et donc à une nouvelle peine après la peine alors même qu'il n'y aura pas eu de nouvelle infraction... D'ailleurs, M. Pierre Mazeaud (ancien président du Conseil constitutionnel) ne s'y est pas trompé, qui déplore une grande confusion : Le Conseil constitutionnel valide la rétention, en expliquant qu'il ne s'agit pas d'une mesure pénale. Mais en s'opposant à la rétroactivité, il suggère qu'on est quand même dans le pénal (fin février 2008, Nouvel Observateur).
  En fait, la seule justification juridique du maintien en milieu clos d'un détenu en fin de peine reviendrait à affirmer qu'il était responsable de ses actes au moment des faits qui le conduirent en prison MAIS qu'au moment de sa sortie de prison il serait devenu, entre-temps, irresponsable. Or, au-delà du côté « tiré par les cheveux » de ce type de justification, cela reviendrait à admettre cette fois-ci que c'est la prison qui l'aurait rendu irresponsable !

  2. Développons maintenant le cas qui deviendrait le plus courant, celui du détenu estimé « responsable » de ses actes au procès mais qui resterait « dangereux » en fin de peine et susceptible de ne pas être relâché pour cette raison (aux termes de la nouvelle loi Dati). On se retrouve ici au cœur du problème : celui qui consiste à infliger à quelqu'un ce qui s'apparente alors fortement à une peine — n'en déplaise au Conseil constitutionnel — non plus en fonction de la commission d'une infraction mais sur la base d'une probabilité de commission d'infraction... Et outre qu'à ce petit jeu-là nous sommes tous susceptibles d'être concernés, cette probabilité serait estimée ni par un jury populaire ni par des juges professionnels mais par des psychiatres. Or, lorsque ces derniers jugeraient (presque au premier sens du terme !) un détenu en fin de peine dangereux, ces nouvelles expertises médicales se heurteraient à celles pratiquées lors du procès... Car pour ne pas se déjuger totalement ET se prémunir contre toute accusation d'incompétence en cas de récidive, le corps des médecins psychiatres optera sans doute assez souvent pour la seule « expertise » qui le laissera hors de cause : dire que le détenu en fin de peine reste responsable mais dangereux. Et sur quelle base juridique pourrait-on indéfiniment cloîtrer une personne responsable sans infraction constatée ?

Par ailleurs, le principe de la non-rétroactivité de la loi a été assez largement rappelé ces dernières semaines et le Conseil constitutionnel s'en est servi pour fonder ses réserves. Toutefois, ce que l'on ne souligne pas assez, c'est que la rétroactivité de la loi EST la règle dès lors que la loi nouvelle est moins sévère que la loi ancienne. Juste après avoir rappelé le principe général de non-rétroactivité de la loi, l'article 112-1 du Code pénal stipule en effet : Toutefois, les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur (...) lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. (Tendance asymétrique que confirment d'autres articles par ailleurs, notamment dans le domaine de l'exécution des peines : articles 112-2, 112-4...) Il n'est donc pas inutile de rappeler que ce principe de non-rétroactivité de la loi n'est pas aussi général que d'aucun voudraient le faire croire puisqu'il est à sens unique...
  La position d'Etat de droit, une fois encore, est d'œuvrer pour un droit toujours plus équilibré, et en l'espèce, pour le maintien du principe général de non-rétroactivité de la loi (mais qui puisse éventuellement souffrir quelques exceptions) et pour une application « équitable » du principe (qui ne soit pas plus réservé au durcissement de la loi qu'à son adoucissement). Nous y reviendrons ultérieurement.

A présent, récapitulons un peu l'ensemble des nouveaux problèmes posés par cette nouvelle loi Dati relative à la rétention de sûreté (et ce qu'elle ne résout pas) :
1) On l'a vu, la faire passer pour une simple mesure de sûreté, et non une peine, risque d'engendrer d'inextricables problèmes juridiques à l'avenir, même si le Conseil constitutionnel a validé ce point.
2) Etat de droit fait d'ailleurs le pari, ici même, que sur ce point un recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme aboutira prochainement à un désaveu de notre Conseil constitutionnel, qui n'en sortira pas grandi...
3) Du reste, quand bien même cette censure de la Cour européenne des droits de l'Homme n'interviendrait pas, on a bien compris qu'il n'y aura pas d'application rétroactive de cette nouvelle loi Dati, dont les effets ne pourraient commencer à se faire sentir que dans une dizaine d'années (puisqu'elle n'est applicable qu'aux détenus condamnés à plus de 15 ans). Cette nouvelle loi Dati ne règle donc à peu près rien en l'état actuel des choses, suivant en cela la même logique d'affichage que la précédente loi Dati sur les peines plancher en cas de récidive.
4) D'ailleurs, même vers 2020, cette nouvelle loi Dati risquerait d'engendrer de nouveaux effets pervers :
— ayant pris connaissance du regain de pouvoir des psychiatres, le criminel dangereux aura tôt fait de comprendre qu'il lui faut apparaître le plus calme possible et jouer le rôle du repenti, bref, tricher sur sa véritable nature ;
— en face, le psychiatre saura que son diagnostic aura une portée moins médicale que carcérale, lui faisant presque prendre la place du juge et risquant de fausser l'objectivité de son jugement (surtout s'il connaît son « patient ») ;
— les juges eux-mêmes, en cas de dangerosité affirmée par les psychiatres, risqueront pour certains d'entre eux de transformer leur bureau en chambre d'enregistrement ;
— a contrario, un psychiatre qui se fera abuser par un détenu « guéri » en apparence pourra induire en erreur le juge qui, plutôt que d'approfondir son travail d'évaluation à lui, risquera de se reposer sur le psychiatre abusé...

En somme, ce grand chamboulement institutionnel auquel nous risquerons d'assister (si la Cour européenne des droits de l'Homme ne nous condamne pas d'ici là) ne donne aucune assurance pour l'avenir, tant au niveau de la sécurité publique qu'au niveau du respect des droits de l'Homme. C'est pourquoi Etat de droit invite à sortir de cet imbroglio juridique en rappelant certaines propositions du site, plus quelques idées nouvelles en perspective :

Tout d'abord, la loi Dati sur les peines plancher n'avait nullement remis en cause le caractère non obligatoire de la soi-disant « injonction » de soins pour les détenus dangereux en fin de peine. Etat de droit proposera bientôt une solution juridiquement acceptable à ce problème, de manière à rendre cette injonction réelle.

Complément (17 mars 2008) : chose promise chose due, Etat de droit propose la création du délit d'insoumission à une injonction de soins.

De même, lorsqu'un criminel exprime clairement son intention de commettre de nouveaux crimes, le droit français ne permet pas actuellement de le sanctionner. [Cf. édito sur le niveau réel de la répression judiciaire en France.] Sur ce point-là aussi Etat de droit proposera prochainement une solution répressive équilibrée, avec les nécessaires garde-fous qui s'imposent.
  Enfin, les premières propositions de réforme de la Justice d'Etat de droit permettraient déjà de régler en amont un certain nombre des problèmes actuellement posés par les détenus en fin de peine, dont la dangerosité reste avérée. Qu'il s'agisse en effet de mettre fin à la confusion des peines, de limiter l'ampleur des remises de peines, ou encore de créer une nouvelle définition de la récidive légale (entre autres propositions), Etat de droit s'efforce d'apporter des solutions juridiquement valables aux problèmes de violences en France, qui éviteraient d'avoir à créer une « rétention de sûreté » insatisfaisante sur le plan du droit et pour l'instant inefficace.

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Réhabiliter les punitions et les sanctions à l'école avec bienveillance

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