Etat de droit
Lentement mais sûrement, nous nous sommes dirigés en France vers nombre d'impasses.
Notre protection sociale est généreuse, mais peut contribuer à dévaloriser le travail peu rémunéré :
certains qui ne travaillent pas peuvent parfois s'en sortir presque aussi bien que d'autres qui travaillent.
Nous souhaitons bénéficier d'un système de santé performant, d'une espérance de vie qui s'accroît, d'un départ à la retraite
aussi tôt que possible, de solidarités nouvelles, mais tout cela a un coût et n'est pas sans conséquences sur nos déficits publics.
Certains d'entre nous voudraient aussi que l'on soit toujours très généreux avec les
personnes en situation illégale qui espérèrent échapper à la pauvreté en se réfugiant chez nous.
Mais cela n'est pas anodin pour leurs proches restés au pays, que ce type d'appel d'air encourage à prendre tous les risques.
Cela n'est pas non plus sans risque pour cet Etat de droit que nous avons mis tant de temps à vouloir édifier, ou notre
cohésion sociale, la préservation de notre mode de vie et de valeurs durement acquises par le passé.
Cela cache d'ailleurs une réalité beaucoup moins généreuse : celle d'intérêts économiques très puissants, où l'on ne se prive pas d'exploiter les
richesses naturelles de pays que nous prétendons soutenir — leur livrant souvent nos armes au passage — derrière un humanitarisme bien utile pour tous.
En somme, que ce soit par générosité ou cupidité, l'Etat de droit en France et les droits de peuples en détresse, dont les droits de l'enfant, sont
loin d'être toujours respectés. Au lieu de partager notre savoir-faire en amont et d'être fermes à l'arrivée, nous sommes égoïstes d'abord puis irrespectueux
de nos propres lois ensuite. Notre semblant de générosité est mal placée. A quand un véritable partage des moyens de production et
le respect des beaux principes ?
Pour revenir à des préoccupations bien françaises (sans pour autant compromettre les
intérêts de ceux dont nous nous proclamons proches), si nous voulons vraiment pérenniser ce bien-être que nous avons
mis tant de siècles à construire, nous ne pourrons le faire sans concessions. Il faudra renoncer
à certains avantages, donner la priorité à ce qui apparaît le plus essentiel et le plus réaliste à la fois.
Si les idéaux doivent être toujours présents à l'esprit — comme autant de phares
qui nous indiquent la direction à suivre — il est parfois de ces situations où l'idéal ne peut être atteint :
dans ce cas, l'objectif ne doit plus être de s'y accrocher désespérément, mais
de trouver puis mettre en œuvre LA MOINS MAUVAISE des solutions possibles. Lorsque par
exemple le Titanic a coulé, si l'on avait voulu sauver tout le monde, on n'aurait sauvé personne...
Ainsi, lorsqu'on ne peut sauver un individu sans mettre en péril tous les autres,
c'est l'espèce qu'il faut sauver, c'est au peuple tout entier qu'il faut d'abord penser. Quel est d'ailleurs le
propre du cancer, dont hélas beaucoup de nos contemporains sont atteints ? Schématiquement : c'est le fait que
quelques cellules «refusent» de mourir et prolifèrent sans utilité pour
le corps global qui les héberge, le faisant dysfonctionner jusqu'à le faire mourir, lui. Sans extrapolation
excessive, ne pourrions-nous pas appréhender ce type de phénomène au niveau sociétal ?
Par ailleurs, on ne peut exiger du peuple un surcroît d'effort que si les dignitaires de
l'Etat donnent l'exemple. Car si l'abandon de quelques privilèges (issus de l'Ancien Régime) ne
représente qu'une économie symbolique à l'échelle d'un pays, ce type de symbole faciliterait grandement l'acceptation
par tous des nécessaires concessions à faire.
Cet état d'esprit ne devrait pas être pris comme un renoncement mais comme un esprit
de responsabilité donnant la priorité à l'Intérêt Commun (avant tout intérêt particulier), au long terme plutôt qu'à
la courte vue, à ce qui est réalisable plutôt qu'à des rêves tellement utopiques qu'ils débouchent sur d'inévitables
lendemains qui déchantent.
C'est cette logique d'un réalisme constructif, d'un humanisme équilibré, d'une
ferme modération — pourquoi ces deux termes devraient-ils toujours s'opposer ?
— qui pourra permettre une meilleure adaptation à ce monde qui change. Charles Darwin, depuis longtemps,
nous l'a enseigné : Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les
plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s'adaptent le mieux aux
changements. Nous voilà prévenus.
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J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006