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L'étude du 29 août 2008

Victor Hugo, l'autorité et le pouvoir (1)

Sur l'imbrication très étroite entre pouvoir et autorité selon Victor Hugo

A chaque page ou presque des Misérables de Victor Hugo on trouvera au moins une phrase extraordinaire qui vous transporte et vous dépasse, vous élève et vous rend humble. Parfois, certaines de ces phrases n'ont besoin d'aucune autre, à peine nées déjà adultes. Parfois même, certaines pages en sont remplies : c'est le feu d'artifice, le miracle permanent. On croit souvent que le bouquet final vient d'arriver quand ça n'était qu'un avant-goût.
  A la vérité, on trouvera quelques descriptions topographiques où la perception mentale se perd un peu : il faut bien que le génie se divertisse aussi. Mais quoi qu'il en soit, on ne saura que trop conseiller au furtif internaute de devenir lecteur forcément assidu des Misérables, immense fresque impétueuse, étourdissante, qui emporte tout sur son passage mais le restitue aussi.
  Les Misérables ont ceci de particulier qu'ils confirment amplement ce qui a souvent été dit sur Etat de droit à propos d'autorité, à savoir que le principal fondement de l'autorité est le pouvoir. Cette évidence, une certaine élite française l'a rejetée depuis plusieurs décennies à propos d'éducation et a même réussi à en convaincre nos responsables politiques. Mais Etat de droit ne désespère pas : si son propos — et celui des dictionnaires — n'est pas encore admis, peut-être acceptera-t-on d'écouter Victor Hugo, ce grand défenseur des plus faibles, de la morale sociale, des libertés individuelles, des valeurs humanistes, des droits de l'Homme, des accidentés de la vie.

Quand ils ne parlent pas d'autorité du savoir, les partisans de l'autorité naturelle à tout crin voudraient résumer la notion d'autorité au simple fait que certains en auraient intrinsèquement et d'autres pas, ou encore à un simple apprentissage technique qu'on irait apprendre dans quelque IUFM et qu'ils appellent « psychopédagogie », consistant en gros à apprendre aux futurs professeurs à se coucher devant les élèves les plus provocateurs et agressifs... Que ceux qui en doutent encore lisent nos textes officiels !
  Contrairement à tout ce qu'ils disent, Les Misérables de Victor Hugo nous montrent par exemple que l'autorité de Jean Valjean n'a rien d'immuable, ni celle de Javert d'ailleurs (dès lors qu'il n'a plus le pouvoir) ni celle de personne en fait. Les Misérables nous montrent encore que cette autorité est loin de se résumer à une simple question de « technique » : Victor Hugo passe une bonne partie de son roman à nous démontrer que l'autorité globale de quelqu'un provient essentiellement de son pouvoir sur les autres, pouvoir institutionnel bien souvent.
  En effet, à la question : Jean Valjean a-t-il de l'autorité ? on est bien obligé de reconnaître que son autorité (personnelle et globale) varie considérablement en fonction des circonstances, qu'elle est toute relative c'est-à-dire dépendante du pouvoir qu'il détient, ou non, en fonction des différents contextes dans lesquels on le voit évoluer. Qu'on en juge par son parcours dans la première partie des Misérables :

Lorsqu'il sort du bagne, Jean Valjean se fait chasser de plusieurs endroits. Malgré une première résistance guidée par la fatigue et la faim, l'attitude de Jean Valjean est ainsi décrite : L'homme baissa la tête, ramassa le sac qu'il avait déposé à terre, et s'en alla. (...) L'homme prit son bâton et son sac, et s'en alla. (...) Il chemina ainsi quelque temps, la tête toujours baissée. (...) Ce n'est pas à proprement parler la description de quelqu'un qui semble avoir une grande autorité ! Il faut dire qu'il est alors dénué de tout pouvoir : il n'est propriétaire que des quelques haillons qu'il a sur lui, il est sans emploi, ni estimé ni aimé... Rejeté de partout, il n'a aucune prise sur rien ni personne, se faisant même chasser par un chien qui a plus de pouvoir que lui : sa niche, son bon droit, ses crocs. Je ne suis pas même un chien ! se désespère-t-il.
  Et puis un miracle se produit : grâce à l'évêque Myriel, Jean Valjean accomplit une transformation radicale sur lui-même, fait oublier l'ancien bagnard qu'il fut, découvre un procédé de fabrication qui le rend riche en trois ans et bientôt maire de Montreuil-sur-Mer avec tous les pouvoirs qui en découlent. Ce nouveau pouvoir institutionnel, voici alors comment il l'exerce face à Javert dans la lutte qui les oppose à propos de la malheureuse Fantine :
  L'inspecteur Javert a décidé de la mettre six mois en prison pour une simple altercation avec un bourgeois qui en est d'ailleurs à l'origine. Sur ce, Jean Valjean intervient (il est alors M. Madeleine et monsieur le maire) :
  — Inspecteur Javert, mettez cette femme en liberté.
  Javert résiste. Jean Valjean commence par lui expliquer posément qu'il s'est informé et que c'est le bourgeois qui a eu tort. Javert résiste toujours. Les deux autorités se font face (au sens institutionnel du terme, c'est-à-dire au 2ème sens donné par le Robert : l'autorité publique du policier contre l'autorité publique du maire).
  Et le conflit se dénoue ainsi :
  — Je suis [Javert] au désespoir de résister à monsieur le maire, c'est la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions. (...) J'étais là. (...) Quoi qu'il en soit, monsieur le maire, cela, c'est un fait de police de la rue qui me regarde, et je retiens la femme Fantine.
 Alors M. Madeleine croisa les bras et dit avec une voix sévère que personne dans la ville n'avait encore entendue :
  — Le fait dont vous parlez est un fait de police municipale. Aux termes des articles neuf, onze, quinze et soixante-
six du code d'instruction criminelle, j'en suis juge. J'ordonne que cette femme soit mise en liberté.
  Javert voulut tenter un dernier effort.
  — Mais, monsieur le maire...
  — Je vous rappelle, à vous, l'article quatrevingt-un de la loi du 13 décembre 1799 sur la détention arbitraire.
  — Monsieur le maire, permettez...
  — Plus un mot.
  — Pourtant...
  — Sortez, dit M. Madeleine.
  Javert reçut le coup, debout, de face, et en pleine poitrine comme un soldat russe. Il salua jusqu'à terre monsieur
le maire, et sortit.
  Fantine se rangea de la porte et le regarda avec stupeur passer devant elle.

Javert terrassé. Javert humilié. Javert battu. Grâce à l'autorité de Jean Valjean qui est — en la circonstance — la plus forte. De quoi est-elle composée, cette autorité qui vient de vaincre ? On concèdera très volontiers une part d'autorité naturelle pour faire plaisir à nos détracteurs... Jean Valjean, par facilité, par confort personnel, aurait pu laisser faire (comme il arrive à certains supérieurs hiérarchiques de feindre l'ignorance pour avoir la paix avec un subordonné incommode). Il est donc vrai que pour s'opposer à Javert, il faut faire preuve d'un tempérament solide. Mais le vrai fondement de cette autorité globale qui a triomphé, quel est-il ? Il est dans le pouvoir du maire, dans l'autorité institutionnelle que lui confère la loi. Javert dit : fait de police de la rue ; Jean Valjean répond : fait de police municipale. Toute la bataille pour l'exercice de l'autorité est là, entre ces deux assertions, avec pour objet de la discorde cette question : qui a le pouvoir de juger Fantine ? Javert ou Jean Valjean ? Si c'est un fait de police de la rue, Fantine est sous le joug de l'autorité institutionnelle de Javert ; si c'est un fait de police municipale, elle est sous la protection de l'autorité institutionnelle de Jean Valjean.
  Javert parle aussi de ses attributions. Attributions, pouvoir, autorité : ces trois mots-là n'en forment presque plus qu'un, les attributions constituant simplement l'inventaire précis du pouvoir attribué, l'étendue exacte de l'autorité conférée. Pouvoir et autorité sont bel et bien indissociables. C'est celui qui a l'autorité institutionnelle, le pouvoir officiel, le droit avec lui, qui gagne la partie. Et l'autre qui est obligé d'obéir. (Alors contentez-vous d'obéir, dit Jean Valjean à Javert.) Les dictionnaires actuels ne disent pas autre chose.
  Quelle nuance y a-t-il alors entre le mot autorité et le mot pouvoir ? Eh bien lorsque Jean Valjean dit à Javert : Plus un mot, puis : Sortez, on pourra donner la priorité au mot autorité ; mais cette expression vigoureuse de l'autorité démontre qu'on a le pouvoir avec soi ! Et lorsque Jean Valjean énumère les articles de loi en sa faveur, il évoque la source et l'étendue de son pouvoir institutionnel... en faisant montre d'autorité ! Il s'agit donc bien là d'une simple nuance : dans le premier cas l'autorité est au premier plan et le pouvoir au second ; dans le deuxième cas c'est l'inverse. Ajoutons que l'évocation du pouvoir au premier plan précède de peu la ferme expression de l'autorité. Ce n'est pas vraiment un hasard : comme on vient de le suggérer, l'assurance d'avoir le pouvoir autorise l'expression forte de l'autorité. Avec au milieu la superposition parfaite de ce pouvoir et de cette autorité réunis tout deux au premier plan en un tout consubstantiel : J'ordonne que cette femme soit mise en liberté.
  En somme, autorité institutionnelle et pouvoir institutionnel sont toujours sur la même photo : comme de vrais jumeaux ils ne se quittent jamais. Simplement, l'un est parfois plus rapproché de l'objectif que l'autre, on le voit donc plus nettement. Et parfois, à l'instar des crânes de cristal qui fusionnent vers la fin du dernier Indiana Jones, ils s'absorbent mutuellement. Si vous n'avez pas vu le film, prenez une règle ou un bâton et tenez cet objet droit devant vous ; admettons que ce geste soit l'expression d'une volonté ; puis, regardez loin derrière... Apparaissent alors deux images de cet objet devant vos yeux. L'une se prénomme autorité et l'autre pouvoir.

Dans ce premier extrait des Misérables, on concèdera donc qu'à l'autorité conférée par la loi s'ajoute une forte autorité naturelle (le tempérament de Jean Valjean, la conscience morale qu'il a acquise, sa force physique, sa belle apparence dans ses habits de notable), voire une once d'« autorité du savoir », Jean Valjean faisant valoir et savoir son bon droit à Javert en récitant la liste des articles de loi desquels il tire son pouvoir. Mais ces deux dernières sortes d'autorité ne viennent qu'en appui de l'autorité institutionnelle. Même s'il n'avait pas su parfaitement réciter par cœur tous ces articles, comme on récite une leçon, Jean Valjean eût sans doute quand même fini par remporter la bataille ! En revanche, s'il n'avait pas été maire, sa petite récitation d'articles ne lui aurait servi à rien et il n'aurait jamais eu le dessus sur Javert ! C'est bel et bien cette autorité institutionnelle — son grand pouvoir de maire, de premier magistrat de la ville, et le fait que l'altercation concernant Fantine semble entrer dans son champ de compétence — qui procure ici à Jean Valjean l'essentiel de son autorité globale et la victoire sur Javert.
  D'ailleurs la suite du roman le démontre encore (par la négative) : rendez-vous le mois prochain !

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